
08
September 2025
Managing Director USA et Directrice du Digital Global chez Erborian, Mathilde Ruche pilote à la fois le développement de la marque sur le marché américain et la stratégie digitale dans une dizaine de pays. Avec un positionnement à la croisée du business, du contenu et de la tech, elle structure les équipes, pilote l’e-commerce, le e-retail et les leviers médias, tout en gardant une longueur d’avance sur les tendances. Marque de K-beauty née en Corée et propulsée en Europe par le groupe L’Occitane, Erborian s’est imposée comme l’une des pionnières sur TikTok et connaît une forte croissance à l’international.
Mathilde Ruche : Nous sommes dans une phase d’hypercroissance, avec une accélération forte sur des marchés comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Cette dynamique impose une exigence organisationnelle élevée : il faut réussir à structurer sans freiner, à absorber la croissance sans la subir, et à maintenir une marque cohérente tout en l’adaptant finement aux spécificités locales.
Sur les marchés anglo-saxons, la concurrence est féroce. Le secteur de la K-beauty explose, avec de nouvelles marques qui arrivent en permanence. Il faut donc réussir à se différencier, tout en adaptant nos codes, nos contenus et nos messages aux usages locaux. C’est un équilibre délicat entre stratégie globale et pertinence locale.
M.R. : Nous avons travaillé avec Spaag sur un exercice très concret de clarification des rôles entre local et central, à travers une matrice RACI, un outil de gestion de projet qui clarifie les rôles et responsabilités de chaque membre de l'équipe en attribuant quatre rôles : Responsable (R), Approbateur (A), Consulté (C), Informé (I). L’objectif était de remettre tout le monde autour de la table, de challenger nos fonctionnements actuels et de poser les bases d’une organisation plus fluide.
Cet exercice a été structurant : il nous a permis de faire émerger un alignement clair entre les priorités globales et les spécificités locales, en dépassant certains points de friction. Il a aussi servi de point de départ à un séminaire interne où nous avons approfondi ces sujets. Le fait d’avoir un tiers objectif pour poser les bonnes questions et challenger les rôles en place a été précieux.
Aujourd’hui, nous avons une quinzaine de personnes à Paris, structurées en trois pôles : e-commerce, media, et e-retail (dont 98 % Amazon). Ces équipes opèrent sur tous les marchés. Mais à mesure que certains pays montent en puissance, nous renforçons les relais locaux : Espagne, Italie, US, UK. L’arbitrage est simple : le pilotage stratégique et l’expertise restent en central, mais l’opérationnel s’adapte localement.
M.R. : Nous internalisons tout ce qui est structurant : la création de contenu, les campagnes, les relations presse, l’influence… Cela nous permet de garder une vision cohérente et un pilotage fin des sujets. En revanche, on externalise certaines expertises techniques ou très ponctuelles : SEA, SEO, média buying, production si besoin.
C’est un modèle que nous appliquons aussi aux États-Unis : aujourd’hui, nous nous appuyons ponctuellement sur des agences pour accéder à certains influenceurs, mais dès que possible, nous réinternaliserons. L’enjeu, c’est de garder la main, sans se disperser.
M.R. : TikTok est une plateforme sur laquelle Erborian a su prendre une vraie avance. On est souvent cités comme un cas d’école en France ou en Europe. Mais TikTok Shop, c’est une autre histoire : cela demande d’articuler marketing, digital, e-retail… avec des modèles économiques encore émergents.
Notre difficulté, aujourd’hui, c’est de savoir où et quand y aller. Faut-il miser sur des marchés où la marque est déjà forte, mais où la plateforme est encore peu développée ? Ou inversement ? Ce genre de sujet cristallise toutes les tensions : arbitrages stratégiques, ressources internes, organisation transverse. Ce sont souvent ces projets-là qui révèlent les limites de l’organisation.
M.R. : C’est un vrai dilemme. On veut rester pionniers, mais on est déjà sous pression opérationnelle. On commence à travailler sur l’IA, par exemple sur le SEO ou les contenus, mais cela suppose du temps, des compétences et une structuration. Notre organisation est encore en train de se consolider.
Le risque, c’est de ne pas réussir à absorber ces sujets d’innovation parce qu’on est déjà saturés par les enjeux de structuration. Il faut parfois faire entrer des profils externes pour porter certains chantiers, même de manière temporaire, afin d’avancer tout en continuant à structurer en interne.
M.R. : Un chantier très concret : le mix média. Chez nous, les réseaux sociaux et l’influence sont des leviers majeurs de notoriété et de croissance. L’enjeu consiste à répartir efficacement les investissements, à piloter ces canaux dans un contexte de raréfaction des données, et à coordonner les expertises média, création, PR et tech. Ce sont ces sujets qui révèlent les limites des organisations encore trop silotées.
On réfléchit à créer des squads transverses, à mieux faire circuler l’information, à casser les cloisonnements. Et surtout à poser les bonnes questions : pour quel objectif, sur quelle plateforme, avec quelles compétences, et à quel coût ?
M.R. : Mon rôle est avant tout business. Il s’agit d’accompagner l’accélération sur des marchés à très fort potentiel, les États-Unis notamment, tout en consolidant la croissance en Europe. Pour cela, il faut une organisation qui tienne la route.
Je crois qu’on va devoir être capables de mener de front des enjeux très opérationnels (structurer, recruter, prioriser) et des sujets plus stratégiques, liés à l’innovation, à la transformation des usages et à la data. L’objectif, c’est de rester pertinent, lisible, concentré sur ce qui crée de la valeur. C’est à cette condition qu’on pourra saisir les bonnes opportunités sans perdre notre avance.
L’équipe Spaag.