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December 2025
Dans la peau d’un.e CMO
Caroline Roullet (VivaTech) : « L’équilibre, c’est de garder la maîtrise du sens et de la marque, tout en s’appuyant sur des ressources extérieures »
Depuis huit ans, Caroline Roullet pilote le marketing et la communication de VivaTech, devenu en moins de dix ans l’un des rendez-vous phares de la tech mondiale, avec, en 2025, 180 000 visiteurs, près de 14 000 startups, plus de 3 600 investisseurs et des participants venus de plus de 160 pays. À la tête d’une équipe d’environ 25 personnes organisée en pôles performance, média et brand, la CMO porte un double défi : construire une marque globale dans un environnement ultra-concurrentiel.
Caroline Roullet : Mes enjeux se jouent vraiment entre la marque et la performance. Dans un écosystème où les événements tech se multiplient, il faut réussir à faire exister VivaTech : renforcer la personnalité de la marque, la différencier et installer une notoriété internationale auprès d’audiences B2B parfois difficiles à toucher. En parallèle, la pression sur le ROI s’est nettement renforcée. Après une période plus ouverte, on revient à des attentes très “ROIstes”, avec une demande de rentabilité rapide. Chez VivaTech, nous avons encore la capacité de raisonner de façon plus large et d’investir au-delà du court terme, mais le sujet de la performance immédiate est clairement revenu au centre du jeu.
C.R. : Nous nous sommes beaucoup construits en mode “système D”, surtout au début. Très vite, nous nous sommes associés à des acteurs comme les instituts d'études pour avoir des données concrètes sur lesquelles nous appuyer, mais le cœur de notre connaissance reste les populations elles-mêmes. Nous faisons du quanti, du quali, nous écoutons régulièrement le marché, et pas seulement à l’approche de l’événement. Nous avons aussi un pôle éditorial qui gère les conférences et qui est en veille permanente sur ce qui se passe dans le monde de l’entreprise et de la technologie. Cela nous permet d’anticiper les sujets qui vont monter chez nos visiteurs et nos partenaires dans les mois ou les années à venir. Enfin, VivaTech a maintenant presque dix ans, avec une vraie fidélité de nos audiences. Nous avons construit des communautés que nous suivons et sollicitons tout au long de l’année, ce qui nous aide à ajuster le projet à leurs besoins, plutôt que d’attendre une fois par an pour leur parler.
C.R. : Contrairement à l’image que l’on peut avoir de l’extérieur, tout ne s’est pas fait en grand format et en un seul coup. La notoriété de VivaTech s’est construite petit à petit. Au début, nous ne savions même pas si l’édition suivante aurait lieu. Nous faisions parfois nos plans marketing un mois avant l’événement, parce qu’il fallait être prudents sur les investissements. Avec le temps, nous avons pu nous projeter davantage et travailler sur des horizons de trois ans, avec des jalons clairs.
C.R. : Nous faisons beaucoup de choses en interne, notamment ce qui touche au cœur de la marque : la direction artistique, par exemple, reste chez nous. C’est notre ADN, notre façon de construire l’identité de VivaTech, cela ne se délègue pas. En revanche, nous nous appuyons sur des agences pour le paid media, pour les relations presse à grande échelle (il faut gérer près de 2 700 journalistes pendant quatre jours) ou encore pour une partie de l’événementiel, avec une agence qui nous accompagne depuis les débuts. L’équilibre, c’est de garder la maîtrise du sens et de la marque, tout en allant chercher à l’extérieur les ressources nécessaires quand le volume ou la technicité l’exigent.
C.R. : On ne nous a pas formellement “assigné” une feuille de route IA parce que nous sommes un événement tech, mais il aurait été assez étrange de ne pas nous y intéresser. Nous avons défini un cadre d’usage clair. Côté marketing, l’IA nous sert d’abord à simplifier certaines tâches : par exemple, faire des résumés de sessions de conférences pour aller plus vite, ou analyser des données plus rapidement pour formuler des premières hypothèses avant d’entrer dans un travail plus fin. Elle nous aide aussi à déployer des plans de manière beaucoup plus segmentée. La micro-segmentation était, jusque-là, difficile à rentabiliser humainement, avec l’IA, cela devient possible et intéressant. En revanche, cela ne remplace pas les équipes. Nous faisons du marketing d’émotion : notre travail est de transmettre ce qu’est VivaTech à des visiteurs, de faire sentir une marque que nous avons voulue vivante et bienveillante. L’IA est un outil puissant, mais ce n’est ni une baguette magique, ni un substitut à la dimension humaine du métier.
C.R. : J’ai constitué une équipe très internationale, composée majoritairement de spécialistes. Cela nous oblige à sortir de nos réflexes franco-français : une idée évidente à Paris ne l’est pas forcément ailleurs, et cette diversité nous aide à mieux adresser des audiences mondiales. Nous travaillons tous en anglais et l’événementiel crée naturellement un esprit de corps : dans les moments de rush, tout le monde s’entraide, moi compris. Cette énergie collective compense largement la complexité liée à la diversité des profils.
C.R. : Je cherche des personnes agiles, ouvertes d’esprit et qui osent. L’événementiel est un secteur très codifié, avec des façons de faire qui existent depuis longtemps. L’ADN de VivaTech, c’est justement de casser les codes, de travailler l’expérience autrement. Il faut donc des gens qui ne se mettent pas trop de limites, qui ont des idées et qui ne se reposent pas sur leurs acquis. Je suis aussi convaincue qu’un bon marketeur doit être aligné avec les valeurs de la marque qu’il porte. On peut toujours “faire du marketing” pour n’importe quel produit, mais si on n’y croit pas, une dissonance s’installe dans la manière de raconter l’histoire.
C.R. : Dans la tech, si l’on ne forme pas ses équipes en continu, on est très vite dépassé. Nous mixons les formats : échanges avec d’autres entreprises, coaching individuel, formations outils, e-learning, etc.. Cela permet de développer à la fois les compétences techniques et managériales. La vraie difficulté, pour un CMO, c’est de trouver le temps d’apprendre soi-même, pris entre l’opérationnel et la stratégie. Mais sur des sujets comme l’IA, c’est indispensable : il faut en comprendre les usages pour décider et accompagner les équipes de manière crédible.

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L’équipe Spaag.